Bautain (Louis)

Il y eut aussi en ces temps, des docteurs célèbres, des hommes d’une intelligence rare, d’un esprit puissant, tels que S. Anselme, S. Thomas-d’Aquin, appelé à juste titre l’ange de l’école, et plu­sieurs autres. Ces hommes prirent souvent un élan hardi, soutenus qu’ils étaient par les ailes de la foi ; mais l’attirail logique dont ils étaient obligés de se charger, les rabattait bientôt à terre et ils furent for­cés de se traîner péniblement, à travers la syllogis­tique, pour arriver à présenter le rapport d’une vérité à une autre sous la forme d’une conclusion ration­nelle. Du reste, on abusa tant des Ecritures sacrées et des sentences, que la raison, après les avoir long­temps exploitées comme la mine de ses argumens, voyant qu’elle en pouvait tirer tout ce qu’elle voulait parce qu’elle l’y mettait, s’en dégoûta et se mit à chercher des principes ailleurs. (Philosophie du Christianisme, 1835, Tome 2, pp. 13-14)

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Hans Urs Von Balthasar - Surnaturel était une simple redécou­verte d’un aspect important d’Augustin et de Thomas

  • Ce qui était alors, pour les professeurs de théologie les plus éminents, une nouveauté carrément hérétique

Henri de Lubac, qui enseignait à l’institut catholique de Lyon et malheureusement pas chez nous, demeurait le grand inspirateur: il faut dire que son Catholicisme, préparé pendant des années, consti­ tuait la première percée véritable vers une vision nouvelle de l’Eglise. (...) Le livre du père de Lubac était un recueil de passages inconnus tirés des Pères et de la grande théologie des Saints (en vérité une théologie des plus anciennes, qui ne pouvait paraître comme une « nouvelle théologie » qu’à quelques esprits attardés). Et quant à son Surnaturel, pour lequel il dut languir pendant des dizaines d’années dans les caves du Vatican, ce n’était rien de plus que la simple redécou­verte d’un aspect important d’Augustin et de Thomas, ce qui était alors, pour les professeurs de théologie les plus éminents, une nouveauté carrément hérétique (et qui l’est encore aujourd’hui aux yeux de quelques cardinaux), bien que les prétendues « nouveautés » du père de Lubac soient devenues aujourd’hui une évidence pour tout un chacun (et que certains en abusent d’une tout autre façon, qu'il n’aurait voulue).

Hans Urs Von Balthasar, Henri de Lubac, Entretiens sur l'Eglise, recueillis par Angelo Scola, Cerf, 2022, p. 22

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Joseph Ratzinger et John Milbank - Thomas d'Aquin est plus augustinien que Bonaventure

Contrairement à l’Aquinate, Bonaventure a, comme nous l’avons montré, expressément reconnu l’exégèse joachimite de l’Ancien Testament et il se l’est appropriée. Thomas est donc dans ce cas (et pas seulement dans celui-ci) plus augustinien que Bonaventure. En face de la critique résolue et claire que l’Aquinate a dirigée contre l’abbé calabrais, la critique de Bonaventure paraît presque ne toucher que des points secon­ daires, n’apporter que des nuances à peine perceptibles, telles qu’elles résultaient presque de soi de l’évolution des temps. Cependant, la différence qui sépare Bonaventure de Joachim est plus grande qu’il ne pourrait le paraître à première vue,... etc. (Joseph Ratzinger, La théologie de l'histoire de saint Bonaventure, Paris, PUF, 2007, pp. 170-171)

J. Ratzinger reconnaît d’ailleurs à la fin de son ouvrage que

Bonaventure ne cherche jamais à être augustinien (p. 220).

Sur Thomas plus augustinien que Bonaventure voir aussi la session de John Milbank, Duns Scotus and William of Ockham, à 53"39, 24 janvier 2021 :

Gilson already said that Augustine was increasingly read through Avicenna, especially by the Franciscans, and I think, to some extent, this distorts to this very day what we think Augustine is actually saying. I’m one of those people who thinks that Aquinas is more authentically augustinian even than Bonaventure, and Bonaventure is actually distorting Augustine through this very avicennian perspective.

Gilson a déjà dit cela, Saint Augustin était de plus en plus lu à travers Avicenne, spécialement par les franciscains, dans une certaine mesure, cela déforme encore aujourd’hui ce que nous pensons qu’Augustin disait réellement. Je suis de ceux qui pensent que Thomas d'Aquin est plus authentiquement augustinien que Bonaventure lui-même, et Bonaventure déforme en réalité Augustin à travers cette perspective très avicennienne. 

 

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Pie XII - La morale de situation et Thomas d'Aquin

Là où il n'y a pas de normes absolument obligatoires, indépendantes de toute circonstance ou éventualité, la situation « d'une fois » en son unicité requiert, il est vrai, un examen attentif pour décider quelles sont les normes à appliquer et en quelle manière. La morale catholique a toujours et abondamment traité ce problème de la formation de la propre conscience avec examen préalable des circonstances du cas à décider. Tout ce qu'elle enseigne offre une aide précieuse aux déterminations de conscience, tant théoriques que pratiques. Qu'il suffise de citer les exposés, non dépassés, de saint Thomas sur la vertu cardinale de prudence et les vertus qui s'y rattachent (Somme Théologique, II-II.q.47-57). Son traité montre un sens de l'activité personnelle et de l'actualité, qui contient tout ce qu'il y a de juste et de positif dans l' « éthique selon la situation », tout en évitant ses confusions et déviations. Il suffira donc au moraliste moderne de continuer dans la même ligne, s'il veut approfondir de nouveaux problèmes.

(Pie XII, Sur la morale de situation, 1954)

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Servais Pinkaers - Les anciens ont dit bien des choses mieux que nous

... Au cours de ce travail de rénovation de la théologie morale, nous nous apercevrons souvent que nos pères avaient déjà dit bien des choses qui nous paraissent neuves, qu’ils les avaient exprimées mieux que nous ne pourrions le faire. Nous redécouvrirons alors le sens véritable des textes anciens que nous n’avons pas compris parce que leur mode de pensée et leur langage n’étaient pas les nôtres, du fait de leur appartenance à une culture que nous avons tendance à considérer comme morte. Mais si nous apprenons ce qu’on peut appeler la commune mesure de toute pensée chrétienne, sa dimension surnaturelle, nous pourrons percevoir le sens profond des textes chrétiens en saisissant, à partir des mots d’autrefois, la signification vivante que leur conféraient les anciens.

Dans cette perspective, il nous paraît que le modèle qui s’impose à la théologie morale est encore saint Thomas d’Aquin, et notamment sa Somme de Théologie. La puissante structure de cette œuvre, l’étonnante pénétration de ses analyses, la pureté de ses lignes, la solidité de scs assises la rendent plus accessible à l’esprit moderne que la théologie morale des siècles derniers, qu’une vue trop courte a souvent cantonnée dans les problèmes de détails de préférence aux thèses maîtresses garantissant la solidité de l’ensemble.

Mais il ne suffira pas de répéter la Somme, d’en gloser les textes. Les mots ne peuvent nous transmettre par eux-mêmes la réalité vivante qu’ils signifient. Les textes thomistes ne nous deviendront pleinement significatifs que si nous retrouvons personnellement, dans la foi, le Dieu qui inspira saint Thomas et que personne ne découvrira jamais à notre place.

(Le renouveau de la morale, Servais Pinkaers, Téqui, 1964, p. 25)

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