Hannah Arendt
Car le premier résultat désastreux de l'accès de l'homme à la maturité est que l'homme moderne a fini par en vouloir à tout ce qui est donné, même sa propre existence – à en vouloir au fait même qu'il n'est pas son propre créateur ni celui de l'univers. Dans ce ressentiment fondamental, il refuse de percevoir rime ou raison dans le monde donné. Toutes les lois simplement données à lui suscitant son ressentiment, il proclame ouvertement que tout est permis et croit secrètement que tout est possible. Et puisqu'il sait qu'il est un être créateur de lois et que, d'après tous les critères de l'histoire passée, sa tâche est « surhumaine », il va jusqu'à en vouloir à ses convictions nihilistes elles-mêmes, comme si elles lui avaient été imposées par quelque blague cruelle du diable. L'alternative à un tel ressentiment, base psychologique du nihilisme contemporain, serait une gratitude fondamentale pour les quelques choses élémentaires qui nous sont véritablement et invariablement données, comme la vie elle-même, l'existence de l'homme et le monde. Les Origines du totalitarisme, édition anglaise 1951, chap. XIII
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