« Je n’ignore pas que plusieurs de mes contemporains ont pensé que les peuples ne sont jamais ici-bas maîtres d’eux-mêmes, et qu’ils obéissent nécessairement à je ne sais quelle force insurmontable et inintelligente qui naît des événements antérieurs, de la race, du sol ou du climat. Ce sont là de fausses et lâches doctrines qui ne sauraient jamais produire que des hommes faibles et des nations pusillanimes : la Providence n’a créé le genre humain ni entièrement indépendant, ni tout à fait esclave. Elle trace, il est vrai, autour de chaque homme, un cercle fatal dont il ne peut sortir ; mais dans ses vastes limites, l’homme est puissant et libre ; ainsi des peuples. »
De la democratie en amerique, Oeuvres complètes - tome I, volume 2, Gallimard, 1961, p. 339
[Le] progressisme [des jeunes révoltés de 2022] s’investit dans la négation du déterminisme biologique qu’ils assimilent au mal. Naître garçon ou fille est une assignation sexuelle arbitraire, une construction sociale, un obstacle majeur à l’épanouissement dont il faut vite s’extraire, selon eux. En changeant de sexe, de prénom, on s’autoengendre, on s’autodétermine… C’est l’accès à la liberté suprême !
Catherine Nay, Caroline Eliacheff, les enfants d’abord, Le Journal du Dimanche, 31 décembre 2022
Vous serez comme des dieux. "Comme" est bien commenté par Thomas, nous savons que nous ne pouvons être Dieu, mais nous essayons de faire comme lui.
Max Weber ne se lassait pas de souligner le décalage entre les projets des hommes et les suites de leurs actes. Ce qu’une génération à librement voulu est, pour la génération suivante, destin inexorable. Les puritains choisissaient d’être hommes de métier, les hommes d’aujourd’hui sont contraints de l’être.
(Raymond Aron, in Max Weber, Le savant et le politique, Paris, 10/18, 1963, p.31.)
Sartre, sur son absence de père et les conséquence de cela sur sa conception de la liberté. On pourra noter que Sartre, s'il affirme avoir tiré du bien du fait qu'il n'a pas eu de père, ne réalise pas que son père lui a donné quelque chose du fait même de son absence. Cette absence a contribué au développement d'une conception de la liberté presque sans limite, prétendûment sans détermination extérieure, entièrement tournée vers l'auto-détermination... Quand l'indétermination détermine !
Sur la paternité chez Sartre, voir aussi dans Les Mots, Gallimard, 1964, p. 11. Le livre paraît un an avant l’acte d’adoption d'Arlette Elkaïm. :
Il n’y a pas de bon père, c’est la règle ; qu’on n’en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri. Faire des enfants, rien de mieux ; en avoir, quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m’eût écrasé. Par chance, il est mort en bas âge ; au milieu des Enées qui portent sur le dos leurs Anchises, je passe d’une rive à l’autre, seul et détestant ces géniteurs invisibles à cheval sur leurs fils pour toute la vie ; j’ai laissé derrière moi un jeune mort qui n’eut pas le temps d’être mon père et qui pourrait être, aujourd’hui, mon fils. Fut-ce un mal ou un bien ? Je ne sais ; mais je souscris volontiers au verdict d’un éminent psychanalyste : je n’ai pas de Sur-moi.
Voir l'article Sartre et le fantôme du Père, Alexis Chabot