Bautain (Louis)
Alors j’ai raisonné avec Aristote ; j’ai voulu refaire mon entendement avec Bacon ; j’ai douté méthodiquement avec Descartes ; j’ai essayé de déterminer avec Kant ce qu’il m’était possible et permis de connaître; et le résultat de mes raisonnemens, de mon renouvellement, de mon doute méthodique et de ma critique, a été que je ne savais rien, et que peut-être je ne pouvais rien savoir. Je me suis réfugié avec Zénon dans mon for intérieur, dans ma conscience morale, cherchant le bonheur dans l’indépendance de ma volonté ; je me suis fait stoïcien. Mais ici encore je me suis trouvé sans principe, sans direction, sans but et de plus sans nourriture et sans bonheur, ne sachant que faire de ma liberté et n’osant l’exercer de peur de la perdre. (…) Dégoûté des doctrines humaines, doutant de tout, croyant à peine à ma propre raison, ne sachant que faire de moi et des autres au milieu du monde, je périssais consumé par la soif du vrai, dévoré par la faim de la justice et du bien et ne les trouvant nulle part ! — Un livre m’a sauvé ; mais ce n’était point un livre sorti de la main des hommes ! Je l’avais longtemps dédaigné et ne le croyais bon que pour les crédules et les ignorants. J’y ai trouvé la science la plus profonde de l’homme et de la nature, la morale la plus simple et la plus sublime à la fois. J’ai lu l’évangile de Jésus-Christ avec le désir d’y trouver la vérité : et j’ai été saisi d’une vive admiration, pénétré d’une douce lumière, qui n’a pas seulement éclairé mon esprit, mais qui a porté sa chaleur et sa vie au fond de mon âme. Elle m’a comme ressuscité ! (La Morale de l'Évangile comparée à la morale des philosophes, 1827, pp. 74-75)
