Bernard de Clairvaux - EN COURS La raison naturelle ne peut tout connaître du contenu de la foi ou Abélard contre les Pères

LETTRE CLXXXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX CARDINAUX DE LA COUR DE ROME, SUR LE MÊME SUJET.

Saint Bernard les engage à avoir l’œil ouvert sur les erreurs d'Abélard.

A mes seigneurs et vénérables frères les évêques et cardinaux présents à la cour de Renne, le serviteur de leurs saintetés.

1. On ne saurait douter que c'est particulièrement à vous qu'il appartient d'arracher les scandales du royaume de Dieu, de couper les épines qui y poussent et d'étouffer les divisions qui y naissent ; car, en se retirant sur la montagne, Moïse (je parle de celui qui est venu dans l'eau et le sang, et non pas du Moïse qui ne vint que dans l'eau, lequel est moins grand due le nôtre, puisqu'il n'est pas venu dans le sang), Moïse a dit : « Je vous laisse Hur et Aaron, pour terminer les différends qui pourront surgir parmi vous (Exod., XXIV,14). » Pour nous, Hur et Aaron, c'est le zèle et l'autorité que l'Église de Rome exerce sur le peuple de Dieu ; aussi est-ce à elle que nous avons recours pour terminer nos disputes et pour empêcher qu'on ne porte atteinte à la foi et qu'on ne s'attaque à Jésus-Christ, qu'on n'insulte aux Pères et qu'on ne méprise leur autorité, qu'on ne scandalise notre siècle et qu'on ne nuise même aux siècles futurs. On méprise la foi des simples et l'on aspire à pénétrer les secrets de Dieu. On aborde avec audace les questions les plus ardues en riant des Pères de l'Église, qui croyaient plus sage de les laisser dormir que d'entreprendre de les résoudre. C'est ainsi que, malgré la défense de Dieu, on fait bouillir l'agneau pascal, ou bien on le mange tout cru à la manière des bêtes sauvages, et, au lieu de brûler ce qui en reste, on le foule indignement aux pieds (Exod., XII, 9). Voilà comment l'esprit humain veut étendre son domaine sur tout et ne laisse rien à la foi. Il aborde les choses qui sont au-dessus de sa portée et veut comprendre, ce qui passe ses lumières ; il fait irruption dans les choses de Dieu et les défigure sous prétexte de les expliquer ; il n'ouvre point la porte ou le sceau qui nous les cache, il les brise ; il traite de pur néant ce qu'il ne peut comprendre et refuse de le croire.

2. Prenez la peine de lire le livre qu'Abélard appelle sa Théologie, il est aisé de se le procurer, puisque l'auteur se vante que presque toute la cour de Rome l'a entre les mains, et vous verrez en quels termes il s'exprime sur la sainte Trinité, la génération du Fils, la procession du Saint-Esprit, et sur beaucoup d'autres points qu'il entend d'une manière aussi nouvelle que choquante pour les oreilles et les âmes orthodoxes. Lisez aussi ses Sentences et son Connais-toi toi-même, et vous verrez comme l'erreur et le sacrilège y pullulent (a) ; ce qu'il pense de l'âme de Jésus-Christ, de sa personne, de sa descente aux enfers et du sacrement de l’autel; du pouvoir de lier et de délier, du péché originel, de la concupiscence, du péché d'ignorance, de délectation et de faiblesse, de l'acte même du péché et de la volonté de pécher ; et si vous trouvez que je n'ai pas tort de m'en alarmer, partagez mes alarmes ; mais, pour le faire avec fruit, que votre sollicitude soit en rapport avec le rang que vous occupez, la dignité et le pouvoir que vous avez reçus. Faites descendre au fond des enfers ce téméraire qui ose diriger son vol au plus haut des cieux; confondez à l'éclat de la lumière par excellence les œuvres de ténèbres qu'il ose produire au jour. La condamnation publique de celui qui pèche publiquement ne peut manquer de réprimer les esprits audacieux qui font prendre également les ténèbres pour la lumière, qui dogmatisent jusque dans les carrefours sur les choses de Dieu et qui sèment dans leurs livres le poison de l'erreur qu'ils ont dans le cœur. Voilà comment vous réussirez à fermer la bouche aux impies.

a. Dans quelques éditions, on lit : « Et vous verrez quelles moissons de sacrilèges et d'erreurs y pullulent! » mais les manuscrits donnent notre version.

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1. -- Ce passage est invoqué dans le livre de Rémy Hebding (Pour comprendre la pensée de Luther, p. 40) pour rapprocher la figure de Bernard des positions de Luther. Ceci est fait sans mentionner le contexte dans lequel Bernard écrit, on ne dit pas que c'est une réaction contre Abélard.

2. -- D'autre part Bernard ne cherche pas à évincer la nécessité dela doctrine... EN COURS

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Claude Tresmontant

Nous sommes ici, avec la théologie luthérienne du péché originel, au cœur, ou plutôt au principe, au point de départ germinal de l'athéisme moderne. Par sa doctrine du péché originel Luther a porté une condamnation radicale sur la nature humaine, en ses forces vives : la raison, l'action, la liberté.

Le Concile de Trente a rejeté la conception luthérienne du péché originel, avec tous ses corollaires : corruption radicale de la nature humaine, négation de la liberté humaine, incapacité de l'homme à coopérer à l'œuvre de la sanctification, etc. Le premier Concile du Vatican, en 1870, a rejeté l'irrationalisme et le fidéisme qui s'étaient développés, dans la philosophie allemande et française, à la suite de Luther.

Il n'en reste pas moins que, depuis le XVIIIe siècle, l'influence de la pensée luthérienne a été considérable dans la conscience chrétienne. La chrétienté a été tellement pénétrée par les thèses luthériennes, malgré l'opposition de l'orthodoxie, que, du dehors, ceux qui observent et jugent le christianisme, l'aperçoivent et le comprennent comme un christianisme luthérien.

Ce que, surtout depuis les grandes polémiques du XVIIIe siècle, les adversaires les plus violents du christianisme entendent par christianisme, c'est, il suffit de les lire pour s'en rendre compte, le christianisme de type luthérien. Ce que, depuis le XVIIIe siècle, la conscience moderne rejette, vomit, c'est le christianisme luthérien, celui qui professe que la nature humaine est radicalement corrompue, que la raison est impuissante, qu'il faut s'en remettre à la foi, qui est aveugle, et opposée à la raison ; que l'action humaine n'est pas créatrice ; que la morale est imposée du dehors par un dieu tyran et castrateur, et ainsi de suite. Les problèmes de l'athéisme, Claude Tresmontant, 1972, Part. II, Chap. III.

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F.-X. Putallaz - Le libre arbitre n'est pas la liberté

  • La liberté est une propriété de la volonté qui se porte vers ce qui est meil­leur

Avec l’expression « iudicium liberum », on saisit mieux le sens du terme « libre arbitre » : il ne s’agit pas de la liberté, laquelle est une propriété de la volonté qui se porte vers ce qui est meil­leur, mais de la « liberté de choix », c’est-à-dire du juge­ment libre qui oriente l’action. La question [I, 83,] 3 sera donc très délicate : le libre arbitre, qui est cette faculté de choisir en raison d’un jugement ouvert à une pluralité d’objets, ne serait-il pas une faculté cognitive plutôt qu’une faculté appétitive ? N’est-il pas de l’ordre du jugement plutôt que de la volonté ? En démontrant que le libre arbitre n’est rien d’autre que le mode d’exercice de la volonté humaine, Thomas montre que la raison est seulement à la racine du libre arbitre, aucunement à l’origine de la volonté et de son élan foncier. (L'Âme humaine, p. 565, n. 240)

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