Alain - Contre les systèmes philosophiques

Les hommes qui veulent sincèrement penser ressemblent souvent au ver à soie, qui accroche son fil à toutes choses autour de lui, et ne s’aperçoit pas que cette toile brillante devient bientôt solide, et sèche, et opaque, qu’elle voile les choses, et que, bientôt, elle les cache ; que cette sécrétion pleine de riche lumière fait pourtant la nuit et la prison autour de lui ; qu’il tisse en fils d’or son propre tombeau, et qu’il n’a plus qu’à dormir, chrysalide inerte, amusement et parure pour d’autres, inutile à lui-même. Ainsi les hommes qui pensent s’endorment souvent dans leurs systèmes nécropoles ; ainsi dorment- ils, séparés du monde et des hommes ; ainsi dorment-ils pendant que d’autres déroulent leur fil d’or, pour s’en parer.
Ils ont un système, comme on a des pièges pour saisir et emprisonner. Toute pensée ainsi est mise en cage, et on peut la venir voir ; spectacle admirable ; spectacle instructif pour les enfants ; tout est mis en ordre dans des cages préparées ; le système a tout réglé d’avance. Seulement, le vrai se moque de cela. Le vrai est, d’une chose particulière, à tel moment, l’universel de nul moment. À le chercher, on perd tout système, on devient homme ; on se garde à soi, on se tient libre, puissant, toujours prêt à saisir chaque chose comme elle est, à traiter chaque question comme si elle était seule, comme si elle était la première, comme si le monde était né d’hier. Boire le Léthé, pour revivre (Alain, Vigiles de l’esprit, 1942, Avant propos. Discours prononcé par Alain à la distribution des prix du lycée Condorcet en juillet 1904).

  • Dernière mise à jour le .

Michel Foucault

  • Ethique de l'authenticité - Nominalisme - Il n'y a que l'individu, pas d'universel

La recherche de styles d'existence aussi différents que possibles les uns des autres me paraît l'un des points par lesquels la recherche contemporaine a pu s'inaugurer autrefois dans des groupes singuliers. La recherche d'une forme de morale qui serait acceptable par tout le monde - en ce sens que tout le monde devrait s'y soumettre - me paraît catastrophique. (...)

- Dans la mesure où vous n'affirmez aucune vérité universelle, où vous levez des paradoxes dans la pensée et où vous faites de la philosophie une question permanente, êtes-vous un penseur sceptique ?

- Absolument. La seule chose que je n'accepterai pas dans le programme sceptique, c'est la tentative que les sceptiques ont faite de parvenir à un certain nombre de résultats dans un ordre donné car le scepticisme n'a jamais été un scepticisme total ! Il a essayé de lever des problèmes dans des champs donnés, puis de faire valoir à l'intérieur d'autres champs des notions effectivement considérées comme valables ; deuxièmement, il me semble bien que, pour les sceptiques, l'idéal était d'être des optimistes sachant relativement peu de chose, mais les sachant de façon sûre et imprescriptible, alors que, ce que je voudrais faire, c'est un usage de la philosophie qui permette de limiter les domaines de savoir.


« Le retour de la morale » (entretien avec G. Barbedette et A. Scala, 29 mai 1984), Les Nouvelles littéraires, no 2937, 28 juin-5 juillet 1984, pp. 36-41.

Dits Ecrits tome IV texte n°354

Cité à charge par Luc Ferry, in Sagesses d'hier et d'aujourd'hui, 2014, PDFWeb, p. 698

  • Dernière mise à jour le .