Raymond Aron, la liberté selon Sartre tend à la violence

Une autre particularité de l'ontologie sartrienne accentue le goût, sinon le culte de la violence : la radicale séparation des instants. La conscience demeure libre par rapport à ce qu'elle fut tout autant que par rapport à ce qui est. De là le rôle du serment, moyen pour ainsi dire magique, pour interdire à sa propre liberté de trahir demain sa décision d'aujourd'hui. Ulysse se fit attacher au mât de son vaisseau pour ne pas céder au charme des sirènes. Le militant, qui jure de servir la cause et d'obéir, accepte ou pour mieux dire enjoint à ses compagnons de le châtier s'il manque à son serment. La fraternité des combattants de l'ombre ne se sépare pas de la terreur que tous exercent sur chacun et chacun sur tous. 
Mise en théorie de la pratique des mouvements de résistance ? Oui, bien sûr, mais surtout interprétation sartrienne de la pratique des révolutionnaires (ou des clandestins) à la lumière de la liberté, à chaque instant neuve, à chaque instant responsable totalement d'elle-même. « Sartre refuse d'admettre qu'il a une identité quelconque avec son passé (Simone de Beauvoir). »

(Raymond Aron, Mémoires, Edition intégrale inédite, 2010, pp. 760-761

Liberté, Sarte, Violence