Michel Foucault et le travail de destruction

Roger-Pol Droit : Vous n'aimez pas qu'on vous demande qui vous êtes, vous l'avez dit souvent. Je vais quand même essayer. Souhaitez-vous qu'on vous nomme historien ?

Michel Foucault : Je suis très intéressé par le travail que font les historiens, mais je veux en faire un autre.

Doit-on vous appeler philosophe ?

Pas non plus. Ce que je fais n'est aucunement une philosophie. Ce n'est pas non plus une science à laquelle on pourrait demander les justifications ou les démonstrations qu'on est en droit de demander à une science.

Alors comment vous définiriez-vous ?

Je suis un artificier. Je fabrique quelque chose qui sert finalement à un siège, à une guerre, à une destruction. Je ne suis pas pour la destruction, mais je suis pour qu'on puisse passer, pour qu'on puisse avancer, pour qu'on puisse faire tomber les murs.

Un artificier, c'est d'abord un géologue. Il regarde les couches de terrain, les plis, les failles. Qu'est-ce qui est facile à creuser ? Qu'est-ce qui va résister ? Il observe comment les forteresses sont implantées. Il scrute les reliefs qu'on peut utiliser pour se cacher ou pour lancer un assaut.

Une fois tout cela bien repéré, il reste l'expérimental, le tâtonnement. On envoie des reconnaissances, on poste des guetteurs, on se fait faire des rapports. On définit ensuite la tactique qu'on va employer. Est-ce la sape ? Le siège ? Est-ce le trou de mine, ou bien l'assaut direct ? La méthode, finalement, n'est rien d'autre que cette stratégie.

(Inédit extrait d'une série d'entretiens que Roger-Pol Droit a eu avec Michel Foucault au mois de juin 1975, quelques semaines après la publication de « Surveiller et punir ». Le Point 01/07/04 - N°1659 p.82)

Source

Destruction, Déconstruction