Sartre
On regarde l'objet littéraire comme valable pour tous, mais sans tenir compte de son contenu anecdotique. Les détails deviennent des symboles. Tel fait particulier vaut pour une série de faits qui caractérisent telle société ou plusieurs sortes de sociétés. L'objet qui était limité passe à l'universel. De sorte que quand on écrit un texte engagé, on se soucie d'abord du sujet qu'on a à traiter, des arguments qu'on a à donner, du style qui rendra les choses plus accessibles, plus percutantes pour les contemporains, et on ne va pas s'amuser à penser à ce que vaudra le livre quand il ne fera plus agir personne. Mais il y a quand même une vague arrière-pensée qui fait qu'on considère que l'œuvre, si elle a réussi son coup, aura un rebondissement dans l'avenir sous une forme universelle ; elle ne sera plus efficiente, elle sera considérée comme un objet gratuit, en quelque sorte ; tout se passera comme si l'écrivain l'avait écrite gratuitement et non pour sa valeur précise d'action sur un fait social précis. C'est ainsi qu'on admire des œuvres de Voltaire pour leur valeur universelle alors que, du temps de Voltaire, ses récits tiraient leur valeur d'une certaine perspective sociale ; donc il y a deux points de vue, et l'auteur les connaît tous les deux quand il écrit. Il sait qu'il écrit quelque chose de particulier, qu'il participe à une action, il n'a pas l'air d'utiliser le langage pour le plaisir d'écrire ; et cependant au fond, il pense qu'il crée une œuvre qui a une valeur universelle qui est sa vraie signification bien qu'elle ait été publiée pour réaliser une action singulière. (Entretiens avec Sartre)
