Descartes (sur) - Une morale de l’intention et du choix

La morale cartésienne apparaît comme une morale de l’intention. Mais nous sommes fort loin du kantisme. Descartes valorise l’intention parce que, d’une part, la connaissance objective et certaine des fins à poursuivre est impossible, parce que, d’autre part, ce qui a le plus d’être en nous est la volonté qui choisit. La direction de cette volonté selon l’idée du Bien (et non selon la connaissance du Bien, qui nous est inaccessible) sera donc pour nous la suprême valeur.

(Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, 1956, chap. 5)

Création de soi, Choix (Election), Intention, Kant, Scepticisme, Descartes, Être, Bien (idée du)

Descartes (sur) - Le choix guidé par l’obéissance aux idées

Ce pouvoir de choisir, qui me constitue, s’exerce dans un monde déjà là, et au sein de valeurs et de vérités créées par Dieu. Si donc ma liberté ne se soumet pas à mon entendement, elle n’est plus que puissance d’erreur : en m’affirmant par elle, je me tourne vers le néant. Et tel est le péché. Ainsi, ce qui constitue mon être et apparaît comme le fondement de mes mérites est aussi, indissolublement, la raison de ma perte. Et la morale cartésienne reçoit de la sorte un premier cadre, d’ordre métaphysique. Il faut adhérer au vrai et à l’être, ce qui implique quelque soumission : ici la passivité de l’entendement, qui nous révèle les idées, voulues par Dieu, vient ordonner et fournir une matière à la vertu d’obéissance, chère aux jésuites de La Flèche.

(Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, 1956, chap. 5)

Liberté, Choix (Election), Duns Scot

Descartes (sur) - Sur le réel qui n’est pas le réel connu

Ne semblant d’abord reconnaître de caractère incompréhensible qu’à l’infini divin, n’insiste-t-il pas au contraire, dans la dernière période de sa vie, sur l’aspect ontologique d’un monde qui, de toutes parts, dépasse la pensée ? Le 6 juin 1647, il écrit à Chanut que les bornes du monde ne peuvent être comprises ; le 5 février 1649, il déclare à Morus que notre esprit n’est la mesure « ni des choses, ni de la vérité », mais seulement « de ce que nous affirmons ou nions ». 

(...) 

Beaucoup se croient cartésiens en refusant de reconnaître la réalité de tout ce qui n’est pas réductible aux idées claires. Mais le 5 février 1649 Descartes rappelait à Morus que notre esprit n’est la mesure ni des choses, ni de la vérité, et qu’il doit seulement demeurer celle de nos affirmations et de nos négations. Car, attentif à ne rien laisser perdre de l’Être et de l’homme, Descartes refusa toujours de les réduire à des objets connaissables, déterminables. Et telle est la source essentielle de la difficulté que l’on trouve à comprendre sa philosophie.

(Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, 1956, chap. 5)

Réel, Connaissance, Descartes, Réel connu

Descartes (sur)

Descartes, contrairement à une idée reçue, est sans doute le moins cartésien de tous les philosophes. Si ses intuitions sont profondes, ses raisonnements, en revanche, et notamment sur le plan scientifique, sont la plupart du temps erronés, pour ne pas dire parfois tout à fait comiques (je pense à sa biologie, délirante à un point rare, mais aussi aux lois du choc et à la théorie des tourbillons qui forment le cœur de sa physique et qui sont d'une fausseté étonnante, même pour l'époque). 

(Luc Ferry, Sagesses d'hier et d'aujourd'hui, chap. Sartre et l'existentialisme, pp. 217-218 (PDF Web), Flammarion, 2014)

Descartes, Cartésianisme

Descartes (sur)

On ne soulignera jamais assez l’impact de cette « révolution copernicienne » avant l’heure, symétrie inversée de la révolution héliocentrique opérée au temps de Galilée : l’homme, rejeté aux périphéries du système solaire, se trouvait promu au centre de la science. Si cette « invention du sujet » ne fut pas de génération spontanée, si elle fut préparée de longue date, à partir du XIVème siècle de Jean Duns Scot et de Guillaume d’Ockham, c’est avec Descartes cependant que débute le monde moderne : avec l’invention de l’autonomie. Par la découverte du sujet, je ne dis pas l’individu ni la subjectivité plurielle, mobile et variable de chacun, mais le sujet pensant et rationnel auquel participe chacun, homme ou femme, roi ou manant, la philosophie cartésienne signe l’émergence moderne du Moi, producteur de sa propre législation.

(François-Xavier Putallaz, La philosophie sans prise de tête, 2020, p. 145)

Création de soi, Duns Scot, Ockham, Sujet, Autonomie